« En legs, la statistique peut être dangereuse », la tribune d’Alexis Vandevivère, expert en libéralités

C'est leur avis,Libéralités | 24 février 2020 7 minutes


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Depuis une quinzaine de mois, le secteur associatif montre un regain d’intérêt pour les legs, donations et assurances-vie. Discours, outils, planning… ce mode de soutien possède de vraies spécificités et ces dernières sont souvent mal maîtrisées. Pourquoi ? Parce les promoteurs des libéralités, mais aussi leur direction, leur CA et le secteur dans son ensemble sont entravés par des réflexes propres à la collecte des dons par marketing direct. On s’accroche à des références et à des outils qui n’ont pas vraiment de sens en legs. Pire, en se fondant sur des analyses qui sont biaisées, on s’empêche d’agir, on se prive de résultats et on finit par ne pas investir dans un potentiel formidable. Responsables des libéralités, émancipez-vous de certaines métriques. Voici lesquelles.

 

Les statistiques n’ont pas de valeur en legs

La question du volume de contacts est une des différences fondamentales entre legs et don

En marketing classique, on travaille sur du gros volume, c’est-à-dire des fichiers de dizaines, voire de centaines de milliers de contacts sur lesquels on fait des sélections, des analyses et des extrapolations. Mais les fichiers legs sont plus petits : la majorité des associations récolte quelques dizaines de libéralités par an… Seules quelques grandes structures ont assez de matière pour se permettre une analyse statistique sur de longues périodes.

 

Sans volume de contacts, les analyses ne permettent pas de dresser des profils fiables

N’essayez pas de faire des statistiques sur 100 legs, la marge d’erreur est si élevée que l’analyse n’a plus de sens. Pire encore, on voit souvent ce petit échantillon redécoupé en segments encore plus petits. Exemple fictif : 30% de mes 100 legs sont issus d’hommes, et 30% de ces hommes sont des urbains. Mais on ne peut pas s’appuyer sur 30% de 30% de 100 unités : quel sens donner à un échantillon de … 9 personnes ? Alors que justement, l’éventail des comportements legs est bien plus riche que celui du don.

 

Ces analyses mal ficelées sont responsables du manque d’investissement dans les libéralités

Il faut lutter contre ce travers du marketing direct de tout vouloir extrapoler et prédire. Parce que ça finit par bloquer les stratégies et les investissements ! Les organisations n’investissent pas par « peur » que l’action ne produise pas de résultat immédiatement mesurable. Et ça, c’est un vrai drame. En fin de compte, il n’y a qu’une vérité non mathématique mais implacable : 100% des associations qui ont une stratégie legs depuis longtemps ont des résultats tangibles !

 

Le KPI des libéralités est encore à inventer

Qui est aujourd’hui en mesure de lier une action marketing à un résultat legs ?

De nombreuses raisons expliquent cette opinion, la principale étant que le legs est un levier très lent par définition. Il se passera toujours plusieurs années entre une action marketing legs et son résultat. Résultat qui est, rappelons-le, lié au décès d’une personne. Personne qui peut, de plus, être décédée depuis déjà plusieurs mois.

 

Se fier aux actuels KPI est même nuisible !

Le taux de retour, le grand KPI du marketing direct, est très utilisé alors qu’il n’est pas pertinent en legs. Combien de fois ai-je entendu « J’ai eu 4 retours sur le média A, 8 sur le média B : conclusion, le média B est meilleur. » Mais cette valeur statistique est nulle ! De plus, comment mesurer l’impact en communication ? On ne regarde que les retours de coupons alors que les « non-retours » sont aussi efficaces. Par exemple, on sait, et j’y reviendrai, qu’un legs sur deux est d’origine inconnue, c’est-à-dire que l’association ne connaissait pas le testateur de son vivant. Mais, dans ce cas, comment ce dernier aurait-il pu la connaître autrement que par la publicité ? Il a juste décidé de ne pas informer l’association qu’il a fait un geste pour elle, et c’est son droit. Le legs est parfois un sujet familial où les choix sont guidés par le secret.

 

La recherche de ROI est une déformation du marketing direct

Nous sommes tous déformés par cette idée qu’une dépense en année A doit générer des recettes en année A. Mais la temporalité du legs est complètement différente : l’investissement de l’année A se répercute en A1, A2, A3 et ce jusqu’en A15 ! 15 ans d’impact, auprès de personnes qu’on ne peut pas vraiment tracer : vous voyez bien qu’ici la notion de ROI perd tout son sens.

 

La démarche du scoring n’est pas très pertinente non plus pour le legs

L’intérêt du scoring est de faire des économies, pas d’être plus efficace

Déjà faut-il pouvoir se permettre un scoring, sur le plan financier comme celui de la taille du fichier. Il faut analyser plusieurs centaines de testateurs pour leurs trouver des spécificités partagées et ensuite les extrapoler au reste de sa base ou à sa prospection. Après, c’est certain que ça permet de limiter ses envois de mailings ou ses appels… et cela génère un sentiment d’efficacité.

 

Je n’adhère pas vraiment à la logique du scoring en legs

J’ai toujours défendu l’idée qu’il fallait communiquer sur le legs auprès de tout le monde. Parce qu’on va tous mourir un jour, nous sommes tous en mesure de léguer quelque chose. Et dès qu’on parle de score, on élimine des potentiels, des personnes qu’on considère moins « intéressantes ». Si vous pouvez vous le permettre, vraiment, communiquez auprès de toute votre base.

 

Le scoring peut même s’avérer contre productif en libéralités

À l’époque où je travaillais en association, il fallait toujours lutter contre une analyse assez fausse : on cherchait à scorer les personnes ayant le plus de patrimoine. Mais il ne faut pas raisonner comme ça parce que la perception qu’on peut avoir d’un patrimoine n’est pas liée au montant du legs. Le legs universel d’un petit patrimoine vaut souvent plus qu’un beau patrimoine morcelé. Alors faut-il viser les « riches » et abandonner les « modestes » ? Je vous conseille de gérer vos testateurs avec le même soin, tout en acceptant des surprises à la fin.

 

Vous l’aurez compris, je fais peu confiance aux statistiques sur le sujet des legs, même si je vous présenterai bientôt les rares auxquelles je me fie. Pour conclure, je dirais même que c’est parce qu’il a voulu s’appuyer sur les statistiques issues du marketing direct que le secteur a pris du retard sur la stratégie legs. Un retard qui n’est bien sûr pas figé : il existe de nombreuses démarches marketing intéressantes et efficaces qui sont laissées de côté. Nous vous les présenterons aussi très prochainement.

D’ici là, je vous invite à consulter un autre article sur cette thématique, consacré aux bonnes pratiques pour recruter des contacts legs grâce à une page web !

 

Bonne lecture,

Alexis Vandevivère